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Olga de Bernhard Schlink. Entretien

«  Elle se blottit contre lui et il passa son bras autour d’elle.

“Que vas-tu chercher là-bas ?
– Nous Allemands…
– Non, pas nous Allemands. Que vas-tu chercher, toi ?”

Il gardait le silence, et elle attendit. Tout à coup, le bruit du vent, le cheval qui s’ébrouait et le chant du rossignol lui semblèrent tristes. Comme s’il lui était signifié que sa vie serait attente et que l’attente n’aurait pas de but, pas de fin. »

Quel lien peut-on établir entre Olga et Le liseur ?
Les deux romans parlent d’un amour ayant l’histoire allemande pour toile de fond. Dans Le liseur, un adolescent de la génération de l’après-guerre devient l’amant d’une femme plus âgée qui fut partie prenante des crimes du national-socialisme. Olga relate l’amour entre deux enfants du XIXe siècle finissant – entre un jeune homme sous l’empire des chimères de son époque et une jeune femme bravant les contraintes du temps. Chacun de ces deux romans explore, à travers le prisme de l'amour, le contraste entre ceux qui restent tributaires de leur temps et ceux qui s'en affranchissent, le conflit entre les idées de l'époque et les jugements ultérieurs auxquels on la soumet, ou encore la part de culpabilité des uns et des autres.

Selon Olga, ses malheurs, tout comme les malheurs d’Herbert, et plus largement les malheurs de l’Allemagne, découlent de la folie des grandeurs de Bismarck…
Olga est injuste envers Bismarck. Il redoutait la folie des grandeurs de l’Allemagne et était contre les conquêtes et les colonies. Mais il a créé le Reich. Il a taillé pour l’Allemagne un costume bien trop grand pour elle – en tout cas pour une Allemagne où régnait un empereur fou comme Guillaume II.

La surdité brutale d’Olga, qui la coupe du reste du monde à partir de 1936, symbolise-t-elle le refus de la part d’un certain nombre d’Allemands d’écouter la propagande du régime ?
Olga dit elle-même qu’elle était contente de ne plus être contrainte d’entendre la propagande, la diffusion par haut-parleurs des discours et de la musique militaire. Mais elle dit aussi que rien n’est si désagréable à entendre au point de renoncer à entendre tout court.

Toute sa vie, Olga va devoir se battre pour exister malgré les obstacles à son indépendance. Peut-on la considérer comme une féministe avant l’heure ?
N’y a-t-il pas eu des féministes à toutes les époques ? N’est-ce pas pour cette raison que les femmes ont obtenu, au cours des cent cinquante dernières années, l’émancipation et l’égalité des droits ? Il est vrai que Olga appartient à cette génération de femmes qui étaient contraintes de vivre en-deçà de leurs capacités, souvent aux côtés d’hommes qui, eux, vivaient au-delà des leurs. Une génération de femmes qui durent se battre contre cette discrimination par tous les moyens – ne serait-ce qu’en transmettant à leurs petits-enfants une image plus juste des hommes et des femmes.

À travers les difficultés d’Olga, dénoncez-vous une certaine vision traditionnelle, mais toujours vivace semble-t-il, de la femme allemande, considérée comme vouée aux « trois K », Kinder, Küche, Kirche (les enfants, la cuisine, l’église) ?
J’ai connu la génération de femmes que j’évoquais dans ma réponse à votre question précédente – mes grands-mères et mes tantes, que j’aimais ; les secrétaires des professeurs auprès desquels j’étudiais ou desquels j’étais l’assistant ; des infirmières et des greffières au tribunal, qui toutes avaient l’étoffe de devenir de bons médecins ou de bonnes juristes, mais n’en ont jamais eu la chance. Mais le monde a heureusement connu une révolution en profondeur. Et les « trois K » appartiennent dorénavant au passé.

Au-delà d’une histoire d’amour et de fidélité absolus, ce roman est-il aussi une histoire de transmission, via les recherches du narrateur pour mieux comprendre Olga ?
Je ne puis imaginer une vie riche, et je ne puis imaginer ma propre vie, sans transmission. Il en est question dans tous mes livres, et Olga ne fait pas exception.

Au final, d’Herbert ou d’Olga, lequel est le plus courageux, le mieux armé pour affronter la vie, c’est-à-dire la mort ?
Ils sont tous les deux bien armés pour la mort. Cependant, je récuse votre comparaison. Il est facile de mourir avec courage et dignité. Il est bien plus difficile de vivre avec courage et dignité – et pour cela, il faut prendre la vie à bras le corps. C’est ce que parvient à faire Olga, tandis que Herbert s’y refuse.

Entretien réalisé avec Bernhard Schlink à l'occasion de la parution de Olga.

© Gallimard