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Roger Grenier (1919-2017)

Écrivain récompensé par le Grand Prix de littérature de l’Académie française en 1985, journaliste et homme de radio, Roger Grenier s’est éteint le 8 novembre 2017. Membre du comité de lecture de Gallimard depuis 1971, il était une figure emblématique et attachante de la maison d’édition, où son premier livre avait été publié en 1948 par Albert Camus, et dans laquelle il fut lui-même éditeur.

Roger Grenier à son bureau. Coll. part.

« J'admire chez Roger Grenier l'art d'un magicien laconique du temps. Roger est ce marin bricoleur qui “fait tenir” dans une bouteille un trois-mâts sous les vents alizés, avec l'océan et ses grands fonds, le ciel, le sel, l'iode et la courbure de la terre. Il peut “faire tenir” toute une enfance dans les vingt-quatre pages de Tras los montes, toute une vie (et sa perte) dans les cinquante pages de La Guêpe, les destins successifs de deux générations dans La Répétition, et des dizaines d'années dans les quelques pages du Pierrot noir. » Claude Roy, L’Étonnement du voyageur, 1990.

Roger Grenier (1919-2017) a été journaliste à Combat avec Albert Camus et Pascal Pia. Son premier livre, Le Rôle d’accusé (1948), a paru dans la collection « Espoir » dirigée par Albert Camus chez Gallimard. Auteur de romans et de nouvelles, il a reçu le prix Femina en 1972 pour Ciné-roman, le prix de la Nouvelle de l’Académie française en 1976 pour Le Miroir des eaux, le Grand Prix de littérature de l’Académie française en 1985 et le prix Novembre 1992 pour Regardez la neige qui tombe. Entré au comité de lecture des Éditions Gallimard en septembre 1971, il y fut également éditeur et le témoin d’un demi-siècle de vie littéraire, évoquée notamment dans ses Instantanés en 2007 et 2014. Son dernier ouvrage, un volume de correspondance avec son ami Brassaï, a paru en avril dernier.

« Bref, j’ai toujours été un scribe »

Roger Grenier. Coll. part.

Pour ma part, lorsque j’étais écolier ou lycéen, je n’ai guère écrit. Et je ne me souviens pas d’un livre qui m’aurait donné envie d’écrire. Je n’étais d’ailleurs pas très bon en français. Mon point fort, c’était le latin. Pourtant ma famille, mon entourage m’avaient classé une fois pour toutes comme un littéraire. C’est étrange, on est souvent étiqueté de la sorte sans avoir rien fait. Sans doute parce que je lisais beaucoup. J’ai raconté comment ma mère, inquiète de me trouver toujours à plat ventre sur un tapis, le nez dans un livre, me conduisit à Bordeaux pour consulter un grand professeur de médecine. (Nous habitions Pau et Bordeaux était notre capitale.) Elle avait peur que tant de lecture ne me détraque quelques rouages dans la tête. Après tout, et bien que le professeur ait beaucoup ri, sa peur n’était pas tout à fait ridicule. On sait ce qui arrive à Don Quichotte, pour avoir lu trop de romans de chevalerie. Cette réputation me poursuivait. S’il y avait quelque chose à écrire, on s’adressait à moi. Les programmes du calamiteux cinéma que mes parents avaient acheté à Pau. Le journal des étudiants de Clermont-Ferrand. Soldat à Marseille, en 1940, après la retraite, il m’est arrivé de faire l’écrivain public, d’écrire des lettres, pour les putains, dans les cafés du Vieux-Port. Et mon adjudant, homme sympathique, mais trop sentimental, avait recours à moi pour exposer ses ennuis amoureux au courrier du cœur de Marie-Claire : « Ma femme et ma fille étaient restées en zone occupée. J’ai multiplié les démarches, certaines humiliantes, pour les faire venir près de moi. J’ai réussi. À présent, elles sont là, et j’ai perdu ma liberté. Que faire, mais que faire ? » Au lendemain de la Libération de Paris, j’ai été dirigé vers les petits journaux « issus de la Résistance », comme on disait. Et je suis devenu un journaliste. Bref, j’ai toujours été un scribe.

Roger Grenier, Le Rôle d'accusé, Gallimard, 1948 (« Espoir »)

Premier livre de Roger Grenier
publié par Albert Camus en 1948.

Bientôt, je me suis retrouvé à Combat. Il n’y avait rien de mieux pour éveiller une vocation. À Combat, tout le monde avait écrit, écrivait, allait écrire un livre. Ce quotidien était presque une succursale de la NRF. Le rédacteur en chef en était Albert Camus. Mais, encore plus symboliquement, le directeur était Pascal Pia, c’est-à-dire un écrivain d’un type supérieur, puisque au talent, au génie peut-être, il ajoutait cette qualité suprême : le refus de publier et le choix du silence.
Alors, pour savoir si j’étais capable de faire comme tout le monde, comme j’avais assisté en tant que journaliste à beaucoup de procès, j’ai écrit un petit essai sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire, dont Sartre et Merleau-Ponty publièrent des extraits dans Les Temps modernes, et que Camus édita dans sa collection Espoir. Un titre qui donnait lieu à des plaisanteries entre nous, car les premiers ouvrages de la collection Espoir étaient L’Asphyxie, de Violette Leduc, On joue perdant, de Colette Audry, Le Dernier des métiers, de Jacques-Laurent Bost, L’Erreur, de Jean Daniel, Une métaphysique tragique, d’Émile Simon, et maintenant mon Rôle d’accusé.
En prenant mon manuscrit, Camus me donna le contrat type en vigueur à l’époque. On s’engageait pour dix livres. Avec celui qu’on venait d’apporter, cela faisait onze. Je signai en ricanant, persuadé que je n’écrirais plus jamais. Puis, toujours l’émulation, j’ai écrit un roman pour voir si je savais aussi faire un roman. Puis des nouvelles. Écrire a tourné à l’habitude, pour ne pas dire à la manie, une manie dans laquelle je m’enfonce chaque jour davantage, de sorte qu’à présent, je suis incapable de goûter aucune autre activité, aucune autre distraction. J’en suis arrivé à me sentir coupable quand je n’écris pas. Est-ce une raison de vivre ? Dans les moments où cela va mal et où il ne reste rien d’autre, peut-être. Mais je dirais plutôt que l’écriture m’est devenue une façon de vivre. On peut penser qu’au bout du chemin, écrire, ne pas écrire, le résultat est le même. Disons que c’est un divertissement, au sens pascalien, que je me suis trouvé, sans y attacher plus d’importance qu’il ne convient.

Roger Grenier, Ciné-roman, Gallimard, 1972. Prix Femina 1972

Ciné-roman, prix Femina 1972.

Dans La Mouette, Trigorine, auteur célèbre, feint de se plaindre : « Un récit à peine terminé, il faut, on ne sait pourquoi, que j’en commence un autre, puis un troisième, puis un quatrième... J’écris sans arrêt, comme si je courais la poste, et pas moyen de faire autrement. »

Roger Grenier, Le Palais des livres, Gallimard, 2011.

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