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Michel Leiris (1901-1990)

Michel Leiris, poète et écrivain dans la mouvance puis dans la dissidence surréalistes, devint ethnologue presque par accident. Ainsi fit-il en quelque sorte de lui-même son objet d’étude, avec La Règle du jeu (1948-1976), sa plus vaste entreprise autobiographique. Chez Leiris, parti en quête de la capacité de révélation du langage sur soi-même et les autres, la pratique de l’écriture et les expérimentations sur la langue (« ce qui chante » dans les mots) possèdent règles et rituels. Mais écrire comporte surtout des risques si, comme il le dit dans la préface (1946) de L’Âge d’homme (1939), il s’agit d’introduire dans son œuvre « ne fût-ce que l’ombre d’une corne de taureau », en s’exposant ainsi au regard d’autrui.

Michel Leiris par Roger Parry

Michel Leiris par Roger
Parry, années 1930.

Michel Leiris est né en 1901. Il a vingt-trois ans quand il adhère au mouvement surréaliste que lui a fait connaître son ami André Masson. C'est en poète et sous l'enseigne de Max Jacob qu'il débute dans la  littérature, en 1925, avec Simulacres. Deux ans plus tard, il publie Le Point cardinal, un récit qui est, comme chez Raymond Roussel, un télescopage d'images, de souvenirs, de rêves, de calembours nés de l'automatisme de la pensée, de jeux de mots. Dans le même esprit, avec la même liberté laissée à l'association d'idées, il écrit entre 1927 et 1928 Aurora (publié en 1946), où l'héroïne au prénom nervalien est le jouet du prestidigitateur Siriel (anagramme de Leiris) et subit les métamorphoses imposées par son nom, selon qu'il s'écrit horrora ou or aux rats, etc.
L'année 1929 est un moment décisif dans l'itinéraire personnel, intellectuel et esthétique de Leiris, une pierre de touche dans l'édification de son œuvre. Il rompt avec le mouvement d'André Breton. « Ayant longtemps souhaité de me dissoudre au sein d'une folie volontaire (telle que me semblait avoir été celle de Gérard de Nerval) », écrit-il à ce propos dans L'Âge d'homme, « je fus pris soudain d'une crainte aiguë de devenir effectivement fou. » Il se détourne du strict jeu avec la langue pour faire de celle-ci un outil de recherche introspective.

Michel Leiris, L'Afrique fantôme. De Dakar à Djibouti (1931-1933), Gallimard, 1934 (« Les documents bleus »)

L'Afrique fantôme dans
« Les documents bleus »,
1934

Ses interrogations sur lui-même, et notamment sur ses rapports avec le sacré, l'interdit, la transgression de l'interdit, l'érotisme et la mort rejoignent celles de Georges Bataille, son aîné, dissident comme lui du mouvement surréaliste. Leiris participe avec lui au Collège de Sociologie, et fournit, pour Documents, revue que vient de fonder Bataille, les textes qui seront réunis dans Brisées en 1969.
Toujours à cette époque, Leiris entreprend une psychanalyse et s'intéresse aux mythes et à l'ethnologie. De 1931 à 1933, il participe à la mission Dakar-Djibouti. L'Afrique fantôme de 1934 n'est pas seulement une relation, d'ailleurs amère, d'expédition ethnologique, il s'en dégage en même temps cette veine autobiographique qui constituera l'essentiel de la production leirisienne, à certains égards la plus belle. Quant au filon ethnologique, il est de nouveau exploité dans Tauromachies (1937) et Miroirs pour la tauromachie — deux textes magnifiques où Leiris élabore sa désormais célèbre vision de la « littérature considérée comme une tauromachie » —, puis dans Haut Mal (1943) où est rassemblée toute la production poétique de ces années de rupture.

Michel Leiris, L'Âge d'homme précédé de L'Afrique fantôme, Gallimard, 2014 (« Pléiade »)

L'Âge d'homme en « Pléiade »,
2014

Avec L'Âge d'homme (1939), Michel Leiris revient à son expérience psychanalytique : rêves, souvenirs d'enfance, chocs esthétiques, anecdotes vécues, fantasmes, tout est bon qu'entraîne à soi l'écriture, et, comme l'on a dit de la musique qu'elle est faite de ce qui défait le musicien, l'on peut dire de L'Âge d'homme qu'il est fait de ce qui défait, démantèle le sujet, lequel n'est effectivement plus, comme le dira Blanchot, le « je structuré du monde, mais déjà la statue monumentale, sans regard, sans figure et sans nom : le il de la mort souveraine ». Quelque risque qu'il soit déjà sûr d'encourir pour lui-même, Leiris n'en décide pas moins ici son entreprise autobiographique.
Sauf Glossaire, j'y serre mes gloses, Nuits sans nuit, Bagatelles végétales et Grande fuite de neige, l'essentiel de l'activité de Michel Leiris, depuis l'Occupation qu'il passe à écrire Biffures, est consacrée à la rédaction des volumes de La Règle du jeu. S'il poursuit dans le premier volume les explorations commencées avec L'Âge d'homme avec Fourbis (1955), Leiris change de « tactique » : il ne laisse plus venir à lui les choses qui lui sont arrivées (rêves, fantasmes, expériences), il ne rappelle à lui que celles « qui revêtent une forme telle qu'elles puissent servir de base à une mythologie ».

Michel Leiris, Frêle bruit, Gallimard, 1992 (« L'Imaginaire »)

La Règle du jeu IV,
dans « L'Imaginaire ».

Et ce qu'aura gagné Leiris à cette reprise en main de son matériau littéraire, c'est cette remarquable aisance stylistique, qui confine parfois à la virtuosité, et qui caractérisera désormais sa plume. À la fin de Fibrilles (1966), troisième volet de son entreprise, Michel Leiris écrit qu'il est sans doute temps pour lui d'arrêter le jeu. Il ne le cessera que trente-cinq ans après l'avoir commencé, avec Frêle bruit qui clôt La Règle du jeu.

Michel Leiris a dirigé chez Gallimard, où a paru une grande partie de son œuvre, la collection « L'Espèce humaine» de 1937 à 1965. Prix des Critiques en 1952, il a refusé le Grand prix national des Lettres en 1980. Il est mort le 30 septembre 1990 dans l'Essonne.

Bibliographie indicative

Michel Leiris, Miroir de l'Afrique, Gallimard, 1996 (« Quarto »)

 › Œuvres de Michel Leiris aux Éditions Gallimard 

Livre d'art

  • Leiris & Co, par Marie-Laure Bernadac, Denis Hollier et Agnès de La Beaumelle, coédition Gallimard/Centre Pompidou-Metz, 2015

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