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Julio Cortázar (1914-1984)

Auteur de nombreux recueils de nouvelles qui ont fait de lui le maître de la littérature fantastique, Julio Cortázar a laissé une œuvre où les convictions côtoient l'onirisme et l'humour, s'imposant ainsi parmi les plus grands écrivains de la littérature latino-américaine moderne.

Œuvres de Julio Cortázar aux Éditions Gallimard

« On ne doit pas sacrifier la littérature à la politique ni galvauder la politique sur les autels d'un esthétisme littéraire. Je ne croirais pas au socialisme comme destin historique pour l'Amérique latine s'il n'était pas mû par des raisons d'amour. » Julio Cortázar, novembre 1983.

Julio Cortázar en 1974, à l'occasion de la remise du prix Médicis Étranger. Photo Jacques Robert © Éditions Gallimard

Julio Cortázar à la NRF en 1974, à l'occasion
de la remise du prix Médicis Étranger.

Fils d'un consul argentin en Belgique, Julio Cortázar est né en 1914 à Bruxelles mais a passé son enfance et son adolescence à Buenos Aires, en Argentine.
Ses premiers écrits sont dans la tradition de Jorge Luis Borges, même si le fantastique y est plus inquiétant, comme dans Bestiaire en 1951.
Exilé pour des raisons politiques, il s'installe à Paris. Enseignant, puis traducteur à l'Unesco, il vit plus de trente ans en France, pays dont il prend finalement la nationalité. Son talent de conteur fait de lui un maître de la nouvelle : en 1956, paraît le recueil Fin du jeu, puis en 1958 Les Armes secrètes (qui sera le premier livre de Julio Cortázar publié à la NRF dans la collection « La Croix du Sud », en 1963) et en 1966 Tous les feux le feu.

Julio Cortázar, Carol Dunlop, Les Autonautes de la cosmoroute ou un voyage intemporel Paris-Marseille, Gallimard, 1983 (« Du Monde entier »)

Entre rêve et réel, Cortázar expérimente des combinatoires narratives. Marelle, en 1963, est construit selon les règles de ce jeu.
En 1974, il reçoit le prix Médicis Étranger pour son roman Livre de Manuel et, en 1976, le Grand Aigle d'or de la ville de Nice pour l'ensemble de son œuvre littéraire. Il prend part au combat politique en signant de nombreux articles sur le Salvador et le Nicaragua.
Julio Cortázar est mort à Paris le 12 février 1984, peu après avoir publié un ouvrage écrit en collaboration avec sa femme, la romancière américaine Carol Dunlop, disparue elle aussi, Les Autonautes de la cosmoroute.

Julio Cortazar, Marelle, Gallimard, 1979 (« L'Imaginaire »)

Julio Cortazar, Tous les feux le feu, Gallimard, 2004 (« L'Imaginaire »)

Julio Cortazar, Fin d'un jeu, Gallimard, 2005 (« L'Imaginaire »)

Julio Cortázar, Gîtes, Gallimard, 2012 (« L'Imaginaire »). Archives Éditions Gallimard

Entretien avec Julio Cortázar : « La fascination des mots »

Julio Cortazar. Entretiens avec Omar Prego, Gallimard, 1986 (« Folio essais »). Archives Éditions Gallimard

Omar Prego — Il y a déjà un certain temps, au cours d'une interview, tu as dit que si tu n'avais pas écrit Marelle, tu te serais jeté dans la Seine. Et Graham Greene, dans son plus récent livre de souvenirs (Ways of escape), se déclare incapable de comprendre comment il est possible que des gens continuent à vivre sans écrire. À partir de ces remarques alarmantes, je te pose l'inévitable question qui ouvre toute interview qui se respecte : Quand et pourquoi as-tu commencé à écrire ?

Julio Cortázar — Question à laquelle il m'est absolument impossible de répondre d'une façon définitive et globale, car une première réponse correspondrait à cette période de la vie où l'on affronte la réalité comme un enfant et dans certains cas on la considère comme satisfaisante, en s'en tenant à la dimension de ce qu'on appelle couramment « la réalité ».
Dans mon cas, mes premiers souvenirs sont plutôt des fragments de souvenirs qui commencent avec ma petite enfance. Disons que vers six ou sept ans, je me vois acceptant cette réalité que me montraient mes parents, que me montraient mes sensations. C'est-à-dire l'acceptant entièrement et, en même temps, la transposant continuellement dans des registres de type verbal.

Omar Prego — Qu'entends-tu par « type verbal » ?

Julio Cortázar  — Je veux dire que le fait qu'un objet ait eu un nom ne réduisait pas ce nom à l'utilisation réaliste de l'objet, comme le fait en général un enfant. Un enfant apprend que tel objet s'appelle chaise et alors il demande ensuite une chaise ou il va chercher une chaise mais pour lui le mot « chaise » n'a plus de sens en dehors de l'objet qu'il représente. Ce mot est devenu une valeur simplement fonctionnelle, une valeur d'utilisation.
Curieusement, mes premiers souvenirs sont de différenciation. Une sorte de soupçon, autrement dit : si j'explorais la réalité sous l'aspect du langage, sous l'aspect sémantique, la réalité, pour moi, n'était pas complète, n'était pas satisfaisante. Et même — cela un peu plus tard, vers les huit ou neuf ans — je suis entré dans une période qui aurait pu être dangereuse et déboucher sur la folie : c'est-à-dire que les mots commençaient à valoir autant sinon plus que les choses elles-mêmes.

Omar Prego — Une sorte de substitution de la réalité...

Julio Cortázar — Un mot pouvait me fasciner. Il y avait les mots que j'aimais, ceux que je n'aimais pas, ceux qui avaient une certaine forme, une certaine couleur. Un de mes souvenirs d'enfance, c'est de me voir, étant malade [...] écrire des mots avec mon doigt sur un mur. Je tendais le doigt et j'écrivais des mots, je les voyais prendre corps dans l'espace. Des mots dont beaucoup déjà étaient des mots fétiches, des mots magiques.
C'est quelque chose qui m'a ensuite poursuivi tout au long de l'existence. Il y avait certains noms propres qui, va savoir pourquoi, prenaient en moi une valeur magique. A cette époque-là, il y avait une actrice espagnole, très connue en Argentine, qui s'appelait Lola Membrives. Je me revois donc malade — je devais avoir dans les sept ans — écrivant du bout du doigt dans l'air Lo-la Mem-bri-ves et une fois encore, Lo-la Mem-bri-ves. Le mot était là comme dessiné dans l'air et me donnait l'impression que je m'identifiais profondément à lui. De Lola Membrives, en elle-même, je ne savais pas grand-chose, je ne l'avais jamais vue et je ne la vis jamais, c'étaient mes parents qui allaient voir les pièces où elle jouait. Mais ce nom de femme avait pour moi une valeur fétiche. Et c'est dès ce moment-là que j'ai commencé à jouer avec les mots, à les détacher de plus en plus de leur utilité pratique et que j'ai commencé à découvrir les palindromes, qu'on a remarqués ensuite dans mes livres.

Omar Prego — Dans le dernier, par exemple.

Julio Cortázar — Oui, dans Deshoras, il y a une nouvelle, « Satarsa », qui naît d'un palindrome. Autrement dit, j'étais un enfant fasciné par le fait qu'en lisant à l'envers une phrase ou un mot, on avait une répétition ou un sens différent — écrire en l'air « Roma » et lire « amor » en inversant le sens des lettres, voilà qui était fascinant. J'ignorais l'existence des palindromes mais quand je découvris dans un livre le premier, le plus classique, celui qui dit « Dabale arroz a la zorra el abad », qui est une phrase très longue, quand je l'écrivis sur du papier ou dans l'air et que je me rendis compte que ça disait la même chose dans les deux sens, je me sentis installé dans une situation de relation magique avec le langage.
De là à affirmer qu'il est impossible de comprendre comment des gens peuvent vivre sans écrire. Je ne sais pas. Je crois qu'on peut très bien vivre sans écrire.

Julio Cortázar, Entretiens avec Omar Prego, traduit par Françoise Rosset, Gallimard, 1986 (« Folio essais »), pp. 33-35.

Indications bibliographiques

Œuvres de Julio Cortázar aux Éditions Gallimard

© Éditions Gallimard