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Gérard Bourgadier (1934-2017)

« Cet homme appartient à la catégorie aujourd'hui raréfiée de l'amateur de littérature », écrivait Louis Calaferte de Gérard Bourgadier, disparu le 6 novembre dernier. Fondateur de la collection « L’Arpenteur » chez Gallimard, il fut l’éditeur, entre autres, de Christine Angot, Louis Calaferte, Pietro Citati, Claudio Magris et de La Première gorgée de bière de Philippe Delerm.

Gérard Bourgadier, octobre 1990. Photo J. Sassier © Gallimard

« Je suis éditeur et j'aime l'être parce que le succès et la réussite des autres me font profondément plaisir, me rendent profondément heureux. » 21 août 1987 (cité par Louis Calaferte, Bilan, L'Arpenteur, 2003)

« Il reste de lui l'essentiel pour un libraire, les dimensions que nous devrions souhaiter préserver dans la création éditoriale : une intuition, un grain de folie, l'amour des textes et des écrivains. » Christian Thorel, Libération, 21 novembre 2017

Gérard Bourgadier est né dans la Vienne en 1934.  Après avoir suivi des études à Poitiers, il devient libraire à la librairie L’Or du Temps, place Clichy à Paris, en 1967, puis représentant et attaché de presse chez l’éditeur Français Maspero jusqu’en 1975, date à laquelle il entre au CDE en tant que responsable des ventes. Il occupe ces mêmes fonctions rue Sébastien-Bottin depuis deux ans lorsque Claude Gallimard lui confie la direction des Éditions Denoël. Il y il publie, notamment, Sébastien Japrisot et Louis Calaferte. En 1988, Antoine Gallimard propose à Gérard Bourgadier de créer un département éditorial au sein de la maison Gallimard : ce sera « L’Arpenteur », dont le nom  fait référence au personnage principal du Château de Kafka, le « Landvermesser K.» et dont la maquette de couverture porte l’anagramme « G.E.R.A.R.D. B. ».
« Lundi 25 juillet [1988]. Appel téléphonique de Gérard Bourgadier. Son enthousiasme heureux en m'annonçant que la couverture de Memento Mori, dont la maquette a été composée ces jours derniers sous sa direction, est, selon ses termes, "superbe par son élégance discrète" », rapporte dans ses Carnets Louis Calaferte qui, fidèle à son éditeur et ami, lui a confié son Memento Mori, premier livre à entrer au catalogue de « L’Arpenteur » en octobre 1988.

Les deux titres suivants, Les Malavoglia de Giovanni Verga et Danube, révélant Claudio Magris aux lecteurs français, inaugurent le domaine italien qui sera l’une des spécificités de « L’Arpenteur ».
Grand amateur de jazz – en témoigne le livre hommage au pianiste Thelonious Monk, par Laurent de Wilde, qu’il édite en 1996 –, parolier à ses heures, Gérard Bourgadier, pour qui littérature et musique ont en commun de passer « par l’oreille et par le souffle », lit les  manuscrits à l’oreille : « Un texte, ça swingue ou ça swingue pas », déclare-il lors d’un entretien en 2005 accordé au Matricule des Anges. Dans la lignée du « Chemin » de Georges Lambrichs, celui qui se définit comme « un missionnaire, plutôt qu’un passeur », envisage sa collection comme une pépinière – « ce terrain ne m’appartient pas, mais tout ce que je cultive sur ce terrain, c’est moi qui  l’ai planté ». Éditeur des trois premiers livres de Christine Angot (Vu du ciel, 1990 ; Not to be, 1991 ; Léonore, toujours, 1994), il publie également les textes de Jean-Pierre Ostende (Le Mur aux tessons, 1989), de Thierry Metz (Le Journal d’un manœuvre, 1990), de Michka Assayas (Les Années vides, 1990), de Pierre Autin-Grenier (Je ne suis pas un héros, 1993), de Dominique Barbéris (L’Heure exquise, 1998), de Gaëlle Obiégly (Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique, 2000), de Bruno Krebs (Dans la nuit des chevaux, 2003) et, en 1997, ce qui deviendra un immense succès de librairie, La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm.
Avec le concours de Jean-Baptiste Para, il accueille par ailleurs à l’enseigne de « L’Arpenteur » de nombreux textes italiens, où figurent les essais de Pietro Citati (Kafka, 1989, La Pensée chatoyante, 2004, Le Mal absolu, 2009), de Cristina Campo (Les Impardonnables, 1992) et les récits de Claudio Magris (Une autre mer, 1993 ; À l’aveugle, 2006). L’on doit enfin à Gérard Bourgadier l’édition des œuvres complètes en trois volumes d’André Hardellet (1990-1991). Sa collection, qu’il dirige jusqu’en 2011, compte aujourd’hui près de 250 titres, reflétant son goût pour la découverte et son amour de la littérature en devenir et de la lecture, « avec le sentiment bouleversant que c’est toujours la première fois, à cause du temps qui nous accompagne, qui nous change [l’œuvre] et moi et nous maintient dans l’éblouissement de la rencontre » (Rive gauche, avril 1988).

 › L'Arpenteur

© Éditions Gallimard