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La Série Noire, toujours aussi fringante à 70 ans !

« La force de la Série Noire est d’avoir su présenter à ses lecteurs toute la diversité du polar, que ce soit le roman noir bien sûr, mais aussi les romans policiers, les romans historiques, les thrillers. La volonté est que la Série Noire restitue comme une photographie à l’instant T du monde policier. » Entretien avec Aurélien Masson, directeur de la Série Noire, à l'occasion du 70e anniversaire de la mythique collection en 2015.

La Série Noire, 1945-2015

La Série Noire est généralement considérée comme une collection de romans policiers, de « polars », aujourd’hui comment la définissez-vous ?

Je ne suis pas un historien de la littérature et mon point de vue sur la collection est avant tout celui d’un lecteur. Si l’on considère le terme générique de « polar » comme celui regroupant toutes les familles de cette littérature de genre, le roman noir est son incarnation la plus littéraire, la plus libre aussi des codes du simple roman policier, ou du roman à intrigue. Dans le roman noir, pour simplifier, l’essentiel est moins l’enquête en elle-même que la description de tout ce qu’il se passe autour de cette enquête. Depuis sa fondation en 1945 et à travers son histoire, la Série Noire a toujours mis l’accent sur le roman noir. Les collections policières existaient déjà en France, notamment au Masque avec les livres d’Agatha Christie, mais la Série Noire a été la première à mettre l’accent sur cette littérature apparue aux États-Unis pendant les années 1930, à travers des figures mythiques comme Thompson, Chandler, Hammett ou Goodis…
La force de la Série Noire est d’avoir su présenter à ses lecteurs toute la diversité du polar, que ce soit le roman noir bien sûr, mais aussi les romans policiers, les romans historiques, les thrillers. La volonté est que la Série Noire restitue comme une photographie à l’instant T du monde policier. Contrairement à certaines collections concurrentes qui tendent à se spécialiser, la Série Noire reste un refuge pour tous les amateurs de diversité et finalement de richesse. Et je parle aussi bien des lecteurs que des auteurs…

Alors que les séries dites « policières » envahissent les écrans, quelle place pour la Série Noire ?

Il est vrai que, depuis les années 2000, les séries policières — comme Sur écoute, The Shield ou encore Breaking Bad — ont bouleversé le paysage audiovisuel mais aussi le monde des livres. Les auteurs ne sont pas des individus hors-sol, hors-monde, eux aussi regardent la télévision. Tout comme Ellroy et sa puissance narrative avait réveillé la scène du polar au début des années 1990, les séries policières ont fait entrevoir à certains auteurs les possibilités jubilatoires d’une narration longue et ample. C’est un peu comme si nous revenions à la grande époque du feuilleton au XIXe siècle. Le livre de DOA par exemple, Pukhtu, une fresque titanesque qui se déploie sur deux volumes de 800 pages, est inspiré de cette façon nouvelle d’imaginer et de construire une histoire. Plus que jamais, comme dirait Tony Montana : « Sky is the limit. »

Photo Aurelien Masson

Aurélien Masson

En dehors de la sphère purement éditoriale, cet attrait du public pour les séries télévisées sert aussi la Série Noire et ses auteurs. En fait pour les cinéastes se pose souvent un problème de taille : trouver de belles idées de scénarios, de belles histoires, des personnages complexes et  attachants… Depuis quelques années, nous recevons de plus en plus la visite de producteurs intéressés par des adaptions. Au cinéma il y a eu Zulu tiré du livre de Caryl Férey et dans les années à venir de nombreuses Série Noire seront portées à l’écran (notamment Le Bonhomme de neige de Jo Nesbø, par Scorcese). Mais c’est une autre histoire, je préfère rester concentré sur le monde du livre.

DOA, Pukhtu, 2 vol., Gallimard, 2015 (« Série Noire »)

DOA, Pukhtu, 2015

À la lumière des 70 années passées, comment imaginez-vous la Série Noire dans les années à venir ?

Je l’imagine gaie et fringante. À l’image des Éditions Gallimard, j’espère qu’elle sera toujours aussi indépendante, dans ses choix et l’esthétique qu’elle défend. J’espère plus que tout que la Série Noire continuera d’être une collection qui met en avant la littérature française. Depuis gamin, depuis que j’ai croisé le chemin des Éditions Gallimard, d’abord comme simple lecteur puis comme éditeur, j’ai toujours considéré cette maison comme ayant une mission bien précise : celle de défendre de nouvelles voix littéraires françaises tout en leur donnant le temps de prendre de l’ampleur et du volume. Dans un monde vivant de plus en plus à court terme et où le Divertissement empiète de plus en plus sur l’Art, j’espère que la Série Noire restera toujours ce clou rouillé qui sort de la chaise, ce gros sel que l’on appose sur les plaies. La Série Noire a un grand avenir devant elle dans la mesure où tous les jours un peu plus, le monde qui se dessine devant nos yeux ressemble à une vaste Série Noire. Plus que jamais nous avons besoin de sublimer cette sinistre réalité par des œuvres d’art qui nous poussent à poser notre regard sur le réel, à bousculer notre vision du monde.

© Éditions Gallimard