Page précédente
  • Imprimer

La Condition humaine d'André Malraux

L’écriture de La Condition humaine, dont son auteur dira qu’il est « celui de mes ouvrages auquel je tiens le plus », commence lors d’un voyage de repérage à Canton et à Shanghai. Elle se poursuit pendant près de deux ans, le texte primitif évoluant considérablement jusqu’au moment des épreuves et par-delà la prépublication dans La NRF de janvier à juin 1933. La Condition humaine, premier roman de Malraux publié par Gallimard après qu’il a quitté Grasset, reçoit le prix Goncourt en 1933.

Édition originale de La Condition humaine d'André Malraux, 1933. Archives Édition Gallimard

Édition originale, 1933.

D’après son épouse, le titre lui serait venu à mi-parcours de leur voyage autour du monde, en septembre 1931. Mandaté par Gaston Gallimard pour une exposition destinée à montrer les rapports du monde grec avec le bouddhisme, André Malraux a déjà traversé avec elle toute la Perse, l’Inde, la Birmanie, Singapour quand il découvre enfin la Chine. Il n’en connaissait que Hong-Kong, visitée lors d’un précédent séjour. Le couple fait halte à Canton, puis à Shanghai, où chacun se remémore les événements insurrectionnels et sanglants de 1927. Un ou deux jours plus tard, Malraux demande à sa femme ce qu’elle pense de La Condition humaine comme titre pour son prochain roman. Il y travaille ensuite sans discontinuer jusqu’à leur retour en France, en décembre.
À Paris, le temps dont il dispose pour écrire est, pour beaucoup, absorbé par son travail d’éditeur artistique chez Gallimard. Il s’occupe, entre autres besognes, de l’édition des Œuvres complètes d’André Gide. Mais il tient à son propre manuscrit. Il y tient plus qu’à tous les livres qu’il a écrit, lesquels pourtant lui ont déjà fabriqué une assez extraordinaire réputation d’aventurier rimbaldien  – Roger Martin du Gard a parlé à son propos de « révolutionnaire pur sans savoir où on va » : Les Conquérants (1928), par exemple, ont eu suffisamment d’échos dans le milieu littéraire pour que Trotski lui-même en rende compte ; La Voie royale (1930) a montré dans quelle proportion il sait transfigurer certains épisodes vécus, comme son rapt d’antiquités khmers.
Dans le dernier volet de sa trilogie asiatique, Malraux voudrait produire un roman polyphonique, où l’importance de l’action révolutionnaire viendrait surtout de ce qu’elle est le moyen le plus efficace de traduire un fait éthique ou poétique dans toute son intensité : « J’ai cherché des images de la grandeur humaine, je les ai trouvés », dira-t-il un peu plus tard, « dans les rangs des communistes chinois, écrasés, assassinés, jetés vivants dans les chaudières ». L’âme chez l’homme le fascine plus que le cadre de ses actes, qu’il essaie de transcrire selon un « réalisme subjectif », comme Stendhal, ou Gide, ou Faulkner, mais en refusant de mettre la relation de l’homme et du monde sous la dépendance de la seule psychologie. Ses premières corrections vont dans ce sens. Durant l’été 1932, il prolonge son manuscrit dans une maison de la vallée de Chevreuse, où l’a invité un de ses amis, Eddy du Perron, qui sera le dédicataire du livre.
Il y a toujours eu dans sa manière de vivre, d’écrire, de publier une urgence bizarre. À partir de janvier 1933, il fait paraître dans La NRF les premiers chapitres de La Condition humaine sans même avoir achevé ceux qu’il donne en juin. À ses yeux, la composition fragmentée des ultimes séquences « fiche par terre l’essentiel des valeurs traditionnelles françaises » de continuité du récit. À celles-ci, Malraux oppose une « littérature de montage », de même qu’il incorpore à son roman, à peu près à la même époque que Dos Passos, certaines techniques spécifiques au cinéma : le travelling, le gros plan, etc. (Soit dit en passant, dès 1934, Malraux esquissera avec Eisenstein un scénario du livre.) Légèrement remanié, l’œuvre est achevée d’imprimer chez Gallimard le 5 mai. Gide en a repris la lecture sur épreuves. Dans son Journal (10 avril) : « Ce livre qui, en revue, m’apparaissait touffu à l’excès, rebutant à force de richesse et presque incompréhensible à force de complexité […] me semble, à le relire d’un trait, parfaitement clair, ordonné dans la confusion. »

Les premières critiques estivales reconnaissent moins l’écriture dissonante ; moins l’élément pascalien qui est cher à leur auteur, ou ce rapport maintenu et tendu qu’il établit entre l’angoisse individuelle et la dimension collective du destin, qu’elles ne font polémiques autour de sa violence sadique et d’un de ses thèmes obsessionnels : l’héroïsme. La presse de droite s’en méfie ; la presse de gauche critique. Dans L’Action française, Brasillac met en garde contre un « certain orgueil désespéré », une « grandeur barbare ». Dans les Izvestia, Ilya Ehrenbourg regrette que la révolution qu’a vécue un grand pays devienne « l’histoire d’un groupe de conspirateurs ».

Affiche de librairie pour La Condition humaine d'André Malraux, 1933. Archives Éditions Gallimard

Affiche de librairie réalisée
à l'occasion du prix Goncourt,
1933.

Mais, le 7 décembre, La Condition humaine reçoit le prix Goncourt : au premier tour, et à l’unanimité. Malraux devient un personnage public. Edmond Jaloux et Mauriac le saluent. Il donne une interview, s’explique. Son aura propre rajoute à celle du roman, qui engagera de jeunes gens comme Claude Roy à devenir communistes. En 1947, revoyant le volume pour une nouvelle édition, Malraux supprime l’apologie du terrorisme qui figurait à la fin du livre. Entre sa rédaction et ses différentes publications (celle de 1945 à Genève, chez Skira ; celle, définitive, de 1946 dans la « Blanche »), le texte marque la trace de l’évolution politique de son auteur.

La Condition humaine reste aujourd’hui le roman le plus célèbre de Malraux. Il a interpellé Jean Grosjean, Blanchot, Guéhenno, Drieu, ou Picon, jusqu’à Philippe Le Guillou et Jean d’Ormesson. Comme il l’écrivait à propos de Tolstoï et Stendhal dans une préface au Sang noir, son plus grand art fut peut-être ici de « prendre le chaos du monde et de le transformer en conscience, de permettre aux hommes de posséder leur destin ».

Feuilletez le livre

Amaury Nauroy

 

La Condition humaine d'André Malraux en Folio, 1972. Archives Éditions Gallimard

La Condition humaine,
premier titre de
« Folio » en 1972

André Malraux reçoit le prix Goncourt

Indications bibliographiques

   

© Éditions Gallimard