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Les lettres mexicaines à la NRF

En 1925, dans son salut à Alfonso Reyes, Valery Larbaud invitait les écrivains mexicains et français à renouer les liens qui avaient jadis uni ponctuellement leurs littératures au temps de Corneille et de Ruiz de Alarcón. Il faut reconnaître qu’il a été entendu, car le Mexique fait aujourd’hui partie de l’imaginaire des lettres françaises et la France reste un horizon de référence pour les auteurs mexicains.

Juan Rulfo, Pedro Páramo, Gallimard, 1959 (« La Croix du Sud »)

Pedro Páramo de Ruan Rulfo
dans « La Croix du Sud », 1959.

Le XXe siècle a été, sans conteste, un grand siècle d’échanges et de regards croisés. Si vers 1936 Antonin Artaud escalade à cheval la Sierra Tarahumara à la recherche du peyotl et des limites du Moi, dix ans plus tard Octavio Paz explore à Paris les profondeurs de l’âme mexicaine et y écrit son chef-d’œuvre Le Labyrinthe de la Solitude. Si en 1938 André Breton découvre, lors d’une tournée de conférences, que le Mexique est l’une des patries du surréalisme, au début des années soixante-dix Carlos Fuentes place la fin hallucinante de son roman Terra Nostra au milieu d’un hiver parisien.
Nous pourrions citer également les nombreux voyages de JMG Le Clézio dans les territoires passés et présents de la culture mexicaine, et les mettre en parallèle avec le périple français de Sergio Pitol, comme avec l’errance de ses créatures déracinées et cosmopolites — cette faune excentrique, haute en couleurs, qui se rassemble pour lire Tchekhov dans une villa Art Nouveau de la rue de Ranelagh, ou qui se perd dans les ruelles des quartiers de l’Opéra et du Marais.

Affiche de librairie pour les Œuvres d'Octavio Paz dans la « Pléiade », 2008. Archives Éditions Gallimard

Œuvres d'Octavio Paz dans
la « Pléiade », affiche de
librairie, 2008.

Valery Larbaud a été entendu, c’est certain. Au long du XXe siècle, la maison Gallimard a contribué de manière décisive au développement de ces liens, de cette amitié, comme le montre aujourd’hui notre catalogue d’auteurs mexicains sans doute le plus divers et le plus complet dont peut disposer le lecteur français. Il est le fruit du travail de plusieurs générations d’éditeurs qui ont gardé un regard attentif sur l’évolution des lettres mexicaines, une attitude qu’il a semblé nécessaire de préserver et de cultiver, car l’un des traits les plus remarquables de la littérature du Mexique a été, depuis ses débuts, son extraordinaire capacité à se mettre en question et à se renouveler. Voilà pourquoi parcourir notre catalogue revient à faire un voyage dans un pays, dans une culture aux visages multiples et changeants, tels ces masques colorés que portent les danseurs dans certaines fêtes populaires. Le lecteur peut ainsi commencer son voyage dans le Mexique rural et fantasmagorique de Pedro Páramo et du Llano en flammes de Juan Rulfo. Mais il se peut également que le voyage commence par le Mexique d’Octavio Paz, le pays aztèque, baroque et surréaliste d’un auteur entré dans la « Bibliothèque de la Pléiade », car il a su se placer parmi les voix incontournables de la poésie moderne.

Ouvrages de Carlos Fuentes aux Éditions Gallimard. Archives Éditions Gallimard

Quelques ouvrages de Carlos
Fuentes dans « Du Monde
entier » et en Folio.

De ce Mexique d’Octavio Paz le lecteur peut passer, par exemple, à celui de Carlos Fuentes qui, dans La Plus limpide région, comme dans bien d’autres romans et recueils de nouvelles, nous décrit un univers où se superposent et se confondent l’histoire contemporaine et les mythes précolombiens, les gratte-ciels et les pyramides du sacrifice. S’agit-il vraiment du même pays que nous retrouvons ensuite dans les romans hilarants de Sergio Pitol, peuplés des couples infernaux, comme les protagonistes de La Vie conjugale ? Est-ce le même pays hanté par les anges d’Homero Aridjis ? Est-ce bien celui dans lequel Alejandro Rossi a écrit son Edén, vie imaginée, les souvenirs poignants d’une famille italienne qui fuit une Europe en guerre ?

Carlos Fuentes, Sergio Pitol, Alejandro Rossi, Écrivains mexicains/Escritores mexicanos, « Folio bilingue », 2009

Écrivains mexicains en
« Folio bilingue », 2009

Il est difficile de dire si tous ces « Mexique » sont le même Mexique, mais il est certain que pour les nouvelles générations, le défi se place aujourd’hui à une échelle différente dans une société qui a su créer l’une des douze économies les plus dynamiques de la planète, et qui vit donc pleinement, malgré ses contrastes, à l’ère de la mondialisation. Il n’est donc pas étonnant que l’art, la littérature, le cinéma ne soient plus conçus au Mexique dans une perspective exclusivement nationale. Si aujourd’hui on s’arrache à Hollywood des réalisateurs mexicains comme Guillermo del Toro ou Alejandro González Iñárritu, sur le plan littéraire la dernière génération est aussi en passe de réussir à s’imposer internationalement. C’est bien ce que montre le succès de certains romans des auteurs du groupe Crack, comme Amphitryon d’Ignacio Padilla, ou le rayonnement croissant de l’auteur culte Mario Bellatin, dont Gallimard publie l’inquiétant Jeu de dames, ou encore le bouche à oreille qui colporte le nom d’Álvaro Enrigue et fait valoir que son roman Vies perpendiculaires est un bonheur de lecture.

JMG Le Clézio, Le Rêve mexicain ou La pensée interrompue, Gallimard, 1988 (« NRF Essais »)

Le Rêve mexicain de
JMG Le Clézio, 1988.

Si, comme le voulait Valéry Larbaud, l’entente littéraire franco-mexicaine a été marquée au XXe siècle par les échanges entre les auteurs, il est légitime d’espérer qu’au XXIe siècle ce seront les lecteurs qui reprendront le flambeau. Notre catalogue est une invitation à l’amitié et au voyage, mais aussi — et surtout — à la (re)découverte de ces œuvres mexicaines qui constituent autant de possibilités d’une rencontre inattendue et fascinante avec un pays, avec une littérature, qui ont toujours su parler à l’imagination des Français.

Sur le site   
 

› Les auteurs mexicains au catalogue des Éditions Gallimard

Indications bibliographiques

   

Entretiens

En revue

  • I. Bernal, O. Paz, T. Todorov, « Rencontre de civilisations, conflit de communications : la conquête du Mexique », Le Débat n° 73, janvier-février 1993
  • « Écrivains du Mexique (I) », La NRF n° 555, octobre 2000
  • « Écrivains du Mexique (fin) », La NRF n° 556, janvier 2001

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