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Debussy par ses contemporains

Pelléas et Mélisande, poème de Maurice Maeterlinck mis en musique par Claude Debussy, a rendu le compositeur célèbre et conquis la jeune NRF. Elle voit dans ses compositions l’illustration musicale de sa conception du classicisme moderne. Correspondances, études critiques, pastiche... pour saluer le centenaire de la mort de Claude Debussy, voici une sélection de textes écrits par ses contemporains, témoignant de l’attachement du groupe de la NRF au compositeur, « peut-être le seul de tous les musiciens qui ait eu le privilège de vivre à l'époque qu'il méritait » (Jacques Rivière).

« Entre la sobriété dramatique de Pelléas et de Candaule, y a-t-il tant de différence ? Et quoi de plus voisin de l'arabesque vocale systématiquement employée ici "multiple comme la parole et la vie", sinon notre vers libre, celui de Phocas le Jardinier ? Que nos poètes dramaturges méditent la leçon, s'il leur est impossible de suivre tout à fait l'exemple. Puisse par eux périr le romantisme de théâtre, renversé aujourd'hui par Claude Debussy de la scène lyrique française, c'est-à-dire le culte du panache, de la baudruche et de l'effet, au profit de la vérité humaine et de la beauté classique. » Henri Ghéon, « Le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy », 1902

René Peter. Claude Debussy, Gallimard, 1944 (« Leurs Figures »)

Claude Debussy par René Peter
(Gallimard, 1931), repris en 1944
dans la collection « Leurs figures ».

Debussy est une figure importante aux yeux des fondateurs de la NRF (revue et éditions). L’un d’entre eux, Henri Ghéon, a choisi de rééditer dans son recueil Nos directions l’article qu’il avait consacré à Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, un « drame comme nous le rêvons », empreint d’« humanité et de classicisme », à l’occasion de sa création à l’Opéra-comique de Paris en 1902. Nos directions, publié en 1911, est considéré par les membres du groupe comme un livre fondateur de la NRF, proposant une définition du « classicisme moderne » et une défense du vers libre. Le compositeur y a toute sa place : Jacques Rivière, le jeune secrétaire de La Nouvelle Revue française, ne dit pas autre chose quand il revendique dans les pages de la revue « le droit d’admirer Debussy à cause de son classicisme », dans la mesure où l’émancipation de sa musique ne résulte pas de la volonté de briser les règles mais de la recherche constante de l’expression la plus exacte des élans de l’âme. Par le pouvoir de révélation de ses compositions, Debussy répond aux propres aspirations de Rivière en littérature qu’il a théorisées dans ses articles « De la sincérité envers soi-même » et « Le Roman d’aventure » (La NRF, janvier 1912 et mai, juin, juillet 1913).

C’est que Jacques Rivière est, depuis qu’il a entendu pour la première fois Pelléas et Mélisande en 1904, tout acquis au compositeur. « J'ai voulu que mes premiers mots imprimés fussent un hymne vers Debussy », écrivait-il, le 5 avril 1906, à son ami Alain-Fournier qui partageait son enthousiasme, au sujet d’un premier article à paraître dans Le Mercure musical. Cette passion, bien qu’un peu nuancée, ne l’a pas quitté quand il devient à l’âge de 23 ans, en 1909, le premier secrétaire de La Nouvelle Revue française, co-dirigée par Jacques Copeau, André Ruyters et Jean Schlumberger sous l’égide d’André Gide. Il écrit à ce dernier, le 14 octobre 1909, qu’il aimerait « aussi parler des nouvelles œuvres de Debussy, si on les donne cet hiver à l'Opéra-Comique. » Et ajoute : « Il est vrai que ma compétence technique est nulle. Mais peut-être ma passion pour Debussy y pourrait-elle suppléer. » C’est chose faite quand paraissent, en mai 1910, « Les poèmes d'orchestre de Claude Debussy » dans le seizième numéro de La NRF. Gide s’est d’autant plus facilement laisser convaincre qu’il est lui-même un grand admirateur du compositeur, dont il se plaît à interpréter les pièces pour piano. De surcroît, qu'il est convaincu, avec raison, de la compétence du jeune secrétaire en la matière. Une lettre adressée en janvier 1910 à Jean Schlumberger en témoigne : à la suite de la lecture d’un article de Michel Arnaud sur un concert du maître précédé d’une conférence du musicologue Louis Laloy, André Gide lui fait part de la nécessité de rendre compte du « très intéressant » essai de Laloy sur Debussy qu’il avait, « depuis 5 mois, complètement oublié ». Et il précise : « Il faut faire faire la note par RIVIÈRE » – le nom de Rivière souligné deux fois.  

La Revue musicale, décembre 1920. Numéro spécial consacré à Claude Debussy.

Premier numéro spécial
de La Revue musicale,
intégralement consacrée
à Debussy, décembre 1920.

En dix ans, pas moins de sept articles auront été consacrés dans La NRF au compositeur. Il est également question de Debussy dans une autre revue exploitée par la NRF, la luxueuse Revue musicale d’Henry Prunetière, laquelle dédiera en décembre 1920 l’intégralité de son premier numéro spécial au maître disparu en 1918. Le Théâtre du Vieux Colombier, fondé par Jacques Copeau, n’est pas en reste, qui organise en collaboration avec Henry Prunetière à partir de 1921 des concerts où sont programmées, entre autres, des pièces de Claude Debussy. L’ambition des organisateurs est d’y « faire aimer les œuvres dont [les interprètes] sont le mieux capable de comprendre et d’exprimer le sentiment », dans un souci de rénovation de la scène musicale comme de la scène théâtrale… qui vont de pair avec l’assainissement des lettres entrepris par la NRF.

Or, depuis 1901, Claude Debussy donne régulièrement des chroniques musicales se distinguant par leur approche indépendante et leur tonalité incisive, à La Revue blanche d’abord, sous le pseudonyme de Monsieur Croche, puis à Gil Blas, Musica et, à partir de 1912, à la revue SIM. Jacques Rivière serait heureux d’en faire bénéficier La NRF. Hélas le compositeur décline l’invitation à deux reprises, en novembre 1913 et en janvier 1914, faute de « quelque chose d'assez nouveau pour justifier ce double bavardage ». Les occasions ne se représenteront plus ; l’interruption de la publication de La NRF après la mobilisation de nombreux membres du groupe en 1914, puis la mort de Debussy en mars 1918 mettront un terme aux espérances des animateurs de la revue. Qu’à cela ne tienne…  En août 1918, Jacques Rivière, retour de longs mois d’internement en Suisse, et Gaston Gallimard, gérant des Éditions de la NRF, ont deux projets  éditoriaux en tête, dont un recueil réunissant les articles critiques de Debussy. Valery Larbaud en avait suggéré l’idée dans la revue hebdomadaire londonienne The New Weekly dès avril 1914. (« C'est toujours avec plaisir que nous lisons dans la revue musicale SIM les études critiques qu'y donne M. Claude Debussy, le célèbre compositeur. Nous espérons qu'elles seront quelque jour réunies et publiées en volume. Ce sera là une contribution très remarquable à la littérature. ») 

 

Claude Debussy. Monsieur Croche, antidilettante, Dorbon aîné, 1921.

Monsieur Croche, antidilettante, première édition
de l'œuvre critique de Claude Debussy en 1921.

Ce projet ne se concrétisera pas de la façon dont l’espérait la NRF : Jacques Rivière informe Gaston Gallimard que « Mme Debussy, à la proposition que je suppose que tu lui avais faite de réunir en volume les articles de son mari, répond une lettre complimenteuse et évasive, disant que Dorbon a déjà publié ces articles et que pour ce qui peut rester encore à recueillir, il faut attendre, car “le pauvre grand Maître tiendrait à rester dans l'ombre où le Destin hélas par trop cruel a si injustement et si prématurément enseveli une telle lumière.” (!) Faut-il la poursuivre ? insister ? » Un recueil, Monsieur Croche, antidilettante, paraît bien chez Dorbon aîné (co-édité, semble-t-il avec la NRF), mais en 1921 seulement et ne contient que les premières chroniques de La Revue blanche… La NRF, tenace, parviendra à reprendre le volume à son compte en 1926 ; il faudra cependant attendre 1971 pour qu’une nouvelle édition, complète cette fois, de l’œuvre critique ne soit publiée. L’autre projet éditorial envisagé par Rivière en août 1918 est l’édition d’un « livre de documentation sur Debussy, même sans la moindre vue critique [lequel] serait, à mon avis, aujourd'hui, une chose très précieuse ». Il propose ainsi à Gaston Gallimard de passer commande à l’un des proches du maître, Robert Godet. Rivière, disparu prématurément en 1925, ne verra pas la parution de l’ouvrage, finalement écrit par René Peter, un autre ami du compositeur. L'ouvrage est publié en 1931 dans la collection « Les contemporains vu de près » : on y croise, aux côtés de Debussy, une autre personnalité emblématique du catalogue Gallimard de l’époque, Marcel Proust – dont l'œuvre incarne elle aussi, en littérature cette fois, ce classicisme moderne tant espéré par la NRF.

Jean-Yves Tadié, Le Songe musical. Claude Debussy, Gallimard, 2008 (« L'Un et l'autre »).

Lors du centenaire de la création de La NRF en 2009, les Éditions Gallimard n’ont pas manqué de rendre hommage au compositeur cher aux fondateurs à l’occasion d’un récital donné par Michaël Levinas à l’Abbaye d’Ardennes (Calvados) ; tandis que Jean-Yves Tadié lui consacrait le très beau Songe musical dans la collection « L’Un et l’autre ». La volumineuse et singulière correspondance de Claude Debussy a quant à elle paru dans la collection « Blanche » en 2005.

Le Songe musical de Jean-Yves
Tadié, « L’Un et l’autre », 2008.

Bibliographie indicative

   

Rémy Campos, Debussy à la plage. Préface de Jean-Yves Tadié, Gallimard, 2018.

 

  • René Campos, Debussy à la plage, Gallimard, 2018.
  • Ariane Charton, Debussy, Gallimard, 2012 (« Folio biographies »).
  • Jean-Yves Tadié, Le Songe musical. Claude Debussy, Gallimard, 2008 (« L'Un et l'autre »).

Les articles de Jacques Rivière parus dans La NRF ont été repris en volume dans Jacques Rivière, Études (1909-1924), Gallimard, 1999 (« Les Cahiers de la NRF »).

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