La plupart des œuvres réunies dans cette collection ont aussi paru dans les collections littéraires ordinaires de Gallimard ; mais l’éditeur a souhaité leur réserver une présentation différente, en les dotant d’une reliure souvent couverte de toile et imprimée de motifs originaux colorés qui les distingue nettement de l’édition courante. Pour cela, Gaston Gallimard a fait appel à Paul Bonet (1889-1971), l’un des plus grands relieurs de son époque, bien connu de tous les bibliophiles pour la qualité de ses créations, ainsi qu’à un autre artiste, Mario Prassinos, proche de Raymond Queneau.

À une époque où la reliure privée artisanale était devenue moins accessible, l’initiative de l’éditeur a permis à un public d’amateurs de littérature de continuer à se constituer une bibliothèque de qualité, alliant le goût de la modernité à l’esprit de collection. Les plus grands auteurs du catalogue Gallimard sont représentés dans cette collection aux tirages numérotés (1 000 exemplaires de chaque titre, en moyenne), qui saura séduire par ailleurs d’autres écrivains, à l’image d’Henry de Montherlant dans les années 1940.

Pour Gallimard, Paul Bonet a ainsi dessiné des cartonnages d’éditeur singuliers, créant des compositions ornementales dynamiques à base de motifs géométriques, d’aplats irradiants et de filets décoratifs. Avec Mario Prassinos, dont la manière est plus figurative, l’artiste-relieur a renouvelé la tradition romantique du XIX^e siècle par la transposition de ses méthodes artisanales et de ses recherches artistiques à l’édition courante. Il s’est appuyé pour cela sur les progrès des techniques d’impression et de reliure industrielles de son temps.

Rencontre audacieuse entre l’art et la littérature, la série des « reliés Bonet-Prassinos » s’est durablement installée dans les bibliothèques familiales dans les années 1940 et 1950 et a marqué de son empreinte l’image que nous nous faisons de la grande littérature du XX^e siècle.