Nous n'avons qu'une vie. C'est à prendre ou à laisser. Nous n'avons aussi qu'une façon de la vivre. Un joueur reste un joueur, un valet un valet. Les dés ne roulent qu'une fois.
Téméraire celui qui veut aller contre ce qui est écrit. C'est vouloir sauter son ombre. C'est tricher, mais tricher n'est qu'un mot puisque celui qui triche ne peut pas faire autrement et qu'en fin de compte le résultat est le même pour tous, au dernier jour.
La vie? Un nom, une tête, des empreintes, tel goût, tel vice, tel costume, tout cela difficile à porter. Et voilà, par-dessus le marché, que l'on rêve d'une autre identité.
À la faveur de la guerre, notre Hermann Hessling, portier d'hôtel au Flambaum de New York, croit pouvoir déserter son nom, son pays, son armée, sa langue et ses amours et tout à coup devenir un autre, cet Adrien Faulenmuss tué en Alsace, dont il prend les papiers. Le troc n'est pas possible.
Il aura beau retrouver une place de portier, une servante d'hôtel pareille à celle qu'il désirait, la langue de son enfance et de ses ancêtres, et la vie civile comme autrefois, avec documents en règle et projets d'avenir, son audace est fatale. Ceux qui l'ont connu le démasquent et le livrent à la justice.
Hermann va donc sortir de la vie, mais il n'entre pas encore dans la mort. Il obtient la grâce sombre de la folie, mais la folie ne sauve pas des lois. Elle impose la sienne, implacable. Hermann-Adrien qui voulait changer l'est totalement. Il est ailleurs. Il n'est plus des nôtres.