Jeanne, l'héroïne de la nouvelle pièce de Salacrou, affirme dès l'abord qu'elle aimerait être comme les chardons. Ils ne semblent vivre ni mourir, ils sont, et voilà tout. Depuis bien des années Jeanne s'efforce de vivre ou de survivre, immobile, indifférente, n'attendant et ne craignant plus rien. Elle partage son temps entre l'Espagne et cette maison de Pont-Audemer où elle a été enfant, jeune fille passionnée,
criminelle aussi, peut-être. Là elle retrouve chaque année Juliette, l'amie et le témoin de cette jeunesse qu'elle veut oubliée, morte.
Entre ces deux femmes, la vérité, celle de tout leur passé, remonte, se reconstruit sous nos yeux comme il fait dans le souvenir, dans le cœur, et à travers les mensonges ou les oublis de ces complices qui se croyaient tirés d'affaire. Le temps n'existe plus : passé, présent et avenir se mêlent et s'éclairent cruellement. Rien n'est sans doute plus terrible, pour un chardon, que de découvrir que la sève circule encore dans cette tige qu'il voudrait, tant, à jamais desséchée.