La conquête des pôles est un des drames de l'histoire humaine. Et ce drame a d'âge en âge changé d'aspect. Au début, un instinct profond, commun aux espèces animales, a poussé l'humanité à prendre possession de tout l'espace, même le plus hérissé de défenses et à aller jusqu'au bout de son domaine. La soif du merveilleux l'entraînait aussi à explorer ces régions fantastiques. Le pôle était un pays enchanté que le soleil réchauffe dans son trajet nocturne, et où vivent les heureux Hyperboréens. Pendant longtemps on croira qu'une fois les glaces franchies, le climat y est doux et la mer libre. Puis on croira aussi que c'est le plus court chemin vers les richesses de l'Asie. Et là-dessus
de hardis marins tenteront sur des coques de noix cette route commerciale. Les tortures de cet enfer glacé sont épouvantables. Les membres gelés, le scorbut, la faim, les tempêtes, la nuit perpétuelle, font de cette histoire un tragique martyrologe. Et cependant, elle continue toujours, animée maintenant par la seule soif de savoir, et par l'ambition de planter un drapeau sur l'axe immobile du monde. Cette conquête désintéressée est un prodigieux exemple d'énergie. Et voici qu'à la fin, la nature, après s'être si longtemps défendue cède brusquement. L'avion rend relativement facile le but dont tant de souffrances permettaient à peine d'approcher. L'homme hiverne au pôle. Les côtes boréales deviennent un champ d'expériences pour l'agriculture. Le charbon s'exploite. Des lignes de navigation s'établissent au nord de l'Asie. Sur la glace australe, Byrd fonde une vraie colonie. La civilisation s'empare de ces régions si longtemps inhabitables. Le Pôle devient un observatoire. Et bientôt il ne sera plus qu'un relais sur la route d'Europe en Amérique par la stratosphère.