Joyce

Gallimard
Parution
Joyce (1882-1941), proche et lointain, est peut-être le dernier représentant de ces générations d'individus héroïques pour qui l'art était une raison suffisante et peut-être la seule de vivre. Au-dessus de toutes les mêlées nationales et internationales, cynique en face du siècle mais voué à sa tâche de créateur, on a voulu que Joyce paraisse ici à la fois dans son ambiguïté et dans sa forte unité. C'est dans son œuvre surtout qu'on a poursuivi ce double aspect.
Joyce est le produit à la fois d'une situation cruellement forte et de sa résolution de la dominer. Il est trop humilié pour n'être pas arrogant, pour ne pas vouloir s'affirmer dans la solitude. On peut ainsi voir dans ses premières œuvres une double tendance : face à la collectivité des siens, à Dublin, à l'Irlande, c'est la mise en accusation amère et dure des Dubliners et des poèmes satiriques ; s'il se retourne sur lui-même, c'est le statut héroïque conféré à son personnage de Stephen, c'est l'évocation intense et la glorification de la figure d'artiste.
Mais la défense de l'Artiste par lui-même a tôt fait de dépasser cette humeur d'exaltation naïve : il se met plus sûrement hors d'atteinte en disparaissant derrière des masques parodiques. Ulysse, cette épopée bouffonne et tourmentée, présente par quelques sujets au cœur d'une énorme richesse d'objets une journée de la vie de l'homme moderne en le rattachant à l'homme éternel. C'est dans la parodie que Joyce se retrouve symboliste. Hanté par la passion du langage, c 'est, pratiquement sous couvert de parler la langue du sommeil, à la création d'une langue absolue qu'il consacre les seize années qui séparent Ulysse de Finnegans Wake.