L'auteur de ce livre a fait l'année dernière une entrée foudroyante dans la littérature, avec Le Roi dort, dont on n'a pas oublié l'énorme retentissement. Dans les récits qu'il nous donne cette fois, il nous montre un certain nombre de pauvres bougres, des naufragés, des écrasés, des rafalés des deux sexes, pour employer un vieux mot du langage des matelots, qu'il voudrait ressusciter.
Persuadé que la principale qualité du romancier est la sympathie pour ses personnages, il se penche avec une compassion profonde sur ces pitoyables.
Ses héros et ses héroïnes sont donc des victimes (sauf un ou deux cas où il s'amuse à les désigner ainsi par antiphrase). Victimes de cette obsession du salut, qui est le tout des âmes frustes du Moyen Âge, rabbi Moïse de Villemaur et le grand abbé blanc dom Gobert, amant de Resplendine, la petite vierge juive. - Victimes de leurs scrupules, le brave archéologue Eugène Philippot, modèle de probité intellectuelle et morale, qui fut bafoué par un incube déguisé en politicien franc-maçon ; ou le saint prêtre fils de la momie du Clos-Poulet. – Victime de l'art, Antoinette Véron, épouse indigne du professeur le plus cocu des deux Bourgognes. – Victime de sa vanité d'enfant vicieuse, Angélique Bézu, dite Notre-Dame-de-Valembec. – Victimes de l'égoïsme et de la fatuité mâles, Bribri, fille de Toulon, la touchante Janine, morte de n'avoir pas su l'orthographe, et Mireille Roux, la femme de l'Utraquiste. – Victimes de la cupidité, Gisèle Boucheron et M. le Proviseur. – Victimes de la passion de la propriété, le montagnard Perbost de «l'Herbe aux vipères», et Léon Macquin, dans son petit jardin de Bel Respiro. – Victimes de la crise économique qui est en train d'enfanter dans la douleur un monde nouveau, Denise Florimond, «la Noyée», et Madame Malherbe, la femme de l'horloger de la rue de la Cathédrale, qui ne jouait pas que du violoncelle auprès d'un vieux dégoûtant.
On retrouve dans ces beaux récits cet accent humain et ce mélange de poésie et de réalisme, de familiarité et de grandeur, qui ont fait le succès du premier livre de Charles Braibant.