Rencontres sur le fil du rasoir
. Courts récits
Collection L'Arpenteur
Gallimard
Parution
«Vingt-cinquième rencontre, sur la grande place
Lui, c'est le tueur. Elle, c'est une femme qui traversait la foule.
Assis sur le banc en pierre, il triturait entre ses mains une chose ronde comme une boule de pâte à modeler.
Quand elle avait demandé ce qui se passait, on lui avait dit : "Il l'a tué et maintenant il joue avec sa tête, personne ne peut l'approcher."
Avec ses pouces il cherchait à écraser l'arête du nez, à enfoncer les pommettes. Ses doigts étiraient les muscles des joues, éraflaient la peau avec les ongles.
À distance, elle n'arrive pas à distinguer si la victime du tueur est une femme ou un homme, elle voit seulement qu'il essaie de remodeler une tête humaine pour effacer toute ressemblance qui pourrait lui rappeler le temps où cette tête avait un corps.
Elle a les cheveux longs qui lui couvrent les épaules et retombent en mèches souples sur ses bras. C'est peut-être pour cela qu'il l'a laissée s'approcher de lui et de la tête de sa victime.
– Je regrette, dit-il, je regrette tellement de l'avoir fait.
Pourtant dans ses yeux l'éclair meurtrier zigzague encore à travers les larmes.
Il n'y a rien, absolument rien d'autre à dire, alors elle s'assoit à ses côtés sans savoir pourquoi. Elle ne veut plus le sauver et ne le pourra pas. À l'autre bout de la grande place blanche la foule s'impatiente.»
Oana Orlea.
Lui, c'est le tueur. Elle, c'est une femme qui traversait la foule.
Assis sur le banc en pierre, il triturait entre ses mains une chose ronde comme une boule de pâte à modeler.
Quand elle avait demandé ce qui se passait, on lui avait dit : "Il l'a tué et maintenant il joue avec sa tête, personne ne peut l'approcher."
Avec ses pouces il cherchait à écraser l'arête du nez, à enfoncer les pommettes. Ses doigts étiraient les muscles des joues, éraflaient la peau avec les ongles.
À distance, elle n'arrive pas à distinguer si la victime du tueur est une femme ou un homme, elle voit seulement qu'il essaie de remodeler une tête humaine pour effacer toute ressemblance qui pourrait lui rappeler le temps où cette tête avait un corps.
Elle a les cheveux longs qui lui couvrent les épaules et retombent en mèches souples sur ses bras. C'est peut-être pour cela qu'il l'a laissée s'approcher de lui et de la tête de sa victime.
– Je regrette, dit-il, je regrette tellement de l'avoir fait.
Pourtant dans ses yeux l'éclair meurtrier zigzague encore à travers les larmes.
Il n'y a rien, absolument rien d'autre à dire, alors elle s'assoit à ses côtés sans savoir pourquoi. Elle ne veut plus le sauver et ne le pourra pas. À l'autre bout de la grande place blanche la foule s'impatiente.»
Oana Orlea.