«Il est curieux de remarquer que si la guerre de 1914 nous a valu de nombreux et excellents livres, aucun des romans en plusieurs volumes publiés jusqu'à présent n'a encore évoqué les événements de ces quatre années terribles. Est-ce simplement l'effet du hasard, ou bien nos romanciers ont-ils jugé que le "recul" nécessaire au développement de leurs "fictions historiques" n'était pas suffisant?
Quoiqu'il en soit, Robert Francis vient de résoudre la question en publiant Le gardien d'épaves. Trop jeune pour avoir vécu la guerre d'une manière active, il s'est seulement efforcé de peindre, selon sa propre expression, "les ombres cruelles, les rides, qu'ont marquées les souffrances de l'invasion sur les visages des personnages de La Grange aux trois belles, du Bateau-refuge et des Mariés de Paris.» Alors que le dernier volume de son Histoire d'une famille sous la Troisième République se terminait en 1914, le Gardien d'épaves commence en 1921, dans un décor de ruines à peine reconstruites, au sein d'une société dont les étrangers restés en France après la démobilisation ont déjà entrepris la transformation. Ainsi, grâce à cet habile "angle de vue", la guerre nous apparaît, non plus sous son visage épisodique et horrible, mais sous son aspect peut-être le plus tragique : celui des transformations sociales qu'elle provoque, celui dont plus tard, s'occupera l'histoire.
"Oui, avouait Robert Francis dans une interview au Poste Parisien, la guerre pour nous, jeunes hommes de trente ans qui pourtant vivons sous sa menace, est maintenant une légende. Certes nous en gardons un cruel souvenir de pain noir, d'incendie et de deuil. Nos pères l'ont faite, mais beaucoup n'ont pas eu le temps de la comprendre. Maintenant, la coupure est faite entre l'ancien monde qui l'a précédée et le nôtre, celui que nous attendons. Maintenant, elle nous apparaît vraiment avec toute la force et la grandeur d'une légende, c'est-à-dire d'une leçon et d'une introduction."
On peut dire que parmi tous les livres dont la guerre est le personnage principal, celui-ci
exprime vraiment le sentiment d'une génération.»
J. D.