La Condition humaine
Édition revue et corrigée en 1946
Collection Blanche
Gallimard
Parution
La Condition humaine fut et demeure une révolution mais une révolution française, car sa nouveauté vient moins d’un renversement du kaléidoscope ou d’une correction par surcharge que d’une épuration. Ainsi Corneille a beau embrasser l’ébullition baroque et les Espagnes prestigieuses, son génie est de les réduire à cette pure tension du dialogue entre Rodrigue et Chimène. Ainsi Malraux peut épouser l’Asie dans son mystère extrême et notre siècle dans sa profonde insurrection, il les ramène à leurs nervures et à leur nerf. Jamais roman n’avait à ce point changé la logique en courage et fait de nos actes notre lampe. Rien pourtant n’agite aujourd’hui notre monde qui n’ait montré là, voilà quarante ans, ses vertus et ses limites. Nous y voyons s’affronter les éléments sur lesquels notre époque semble toujours, mais en vain, chercher appui : le prolétariat et l’individu, la machine et la nation, la drogue et l’athéisme, la culture et la liberté sexuelle, etc. Tous ces pôles qu’on essaie de rajeunir en les maquillant de charabia se mesuraient nûment dans ce livre intense comme une interrogation et simple comme une prophétie. Si Le Cid n’est ni la première ni la plus grande pièce de Corneille mais en reste la plus révélatrice et jeune à jamais, La Condition humaine, qui a, elle aussi, scandalisé par son ton de certitude, n’est pas près, non plus, de cesser son rayonnement dans les cœurs. Ainsi y a-t-il des œuvres heureuses.
Jean Grosjean
Jean Grosjean