Dans cet ouvrage critique, divisé en deux parties : L'Œuvre et La vie et la religion, Merejkowski s'est attaché à faire ressortir l'essence même de l'inspiration gogolienne.
On en jugera par les quelques lignes du premier chapitre : «D'après la conception religieuse de Gogol, le diable est une essence mystique et un être réel, en qui s'est concentrée la négation de Dieu, le mal éternel. Dans son art, Gogol étudie, à la lumière du rire, la nature de cette essence mystique ; comme homme, il combat cet être réel avec l'arme du rire : le rire de Gogol, c'est le combat de l'homme avec le diable...»
Le premier, Gogol aperçut le diable sans fard, vit son véritable visage, terrible non par son aspect extraordinaire, mais par sa banalité et sa mesquinerie. Il comprit le premier, que le visage du diable n'est ni inaccessible, ni étrange, ni stupéfiant, ni fantastique, mais commun, familier, un vrai visage «humain», trop «humain», le visage de la foule, un visage «comme tout le monde», presque notre propre visage aux moments où nous n'osons pas être nous-mêmes, mais consentons à être «comme tout le monde». Les deux principaux héros de Gogol, Hlestakoff et Tchitchikoff, sont en réalité deux figures du mal éternel et universel, de l'«impérissable mesquinerie humaine». Selon les vers de Pouchkine c'était l'image de deux démons.
Hlestakoff, le penseur inspiré, Tchitchikoff l'homme d'action : sous ces deux personnages opposés se cache un troisième qui les unit : le diable, «sans masque», «en veston», «tel quel». C'est notre double sempiternel, qui se dresse devant nous pour que nous voyons en lui
notre propre image, comme dans un miroir, et nous dit : «De quoi riez·vous? Mais de vous même!»